Tout avait été affecté. Des douzaines de nids de tortues imbriquées avaient été emportés, exposés ou saturés d’eau pendant la saison de nidification. Les infrastructures avaient également été affectée, de notre réseau photovoltaïque alimentant l’île, aux maisons des gardiens, au refuge des visiteurs, à la station de terrain et à l’héliport. À cette époque, il était de plus en plus difficile de gérer notre programme d’écotourisme en raison du mauvais temps persistant. Cela affectait les revenus qui permettent non seulement de gérer l’île, mais qui sont également réinvestis dans la conservation. Aujourd’hui, du fait de la pandémie de COVID-19, nous sommes confrontés à un effondrement des efforts touristiques et de conservation à Nature Seychelles. Nous devons agir rapidement pour nous adapter à ces changements.

En tant que nation insulaire, nos moyens de subsistance sont étroitement liés à l’océan. Deux de nos plus importants piliers économiques, le tourisme et la pêche, dépendent de l’océan. Les Seychelles sont célèbres pour leur protection de l’environnement. Le pays a récemment dédié 30% de ses eaux à la protection marine, bien avant les objectifs mondiaux. Cependant, nous sommes confrontés à d’énormes défis liés aux océans, exacerbés par les effets d’entraînement financiers de la COVID-19. Notre petit État insulaire est parmi les plus durement touchés par les changements climatiques et, tout autour des Seychelles, les impacts se font sentir, d’une multitude de façons.

Au cours des 20 dernières années, Nature Seychelles a su s’adapter à l’inévitabilité de l’évolution des choses grâce à des projets innovants et hors normes. Notre projet Reef Rescuers (Sauveteurs de récifs) a transformé une discussion sans fin et un programme de recherche de longue date sur le blanchiment des coraux en action réelle. Ce projet, dans la zone marine protégée de Cousin Island, a débuté en 2010 avec le soutien de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), puis du Fonds pour l’environnement mondial par l’intermédiaire du gouvernement Seychellois et du PNUD, après que les coraux des Seychelles furent massivement affectés par le phénomène dévastateur El Niño de 1998 dans l’Océan Indien. Celui-ci a entraîné une perte moyenne de 90% de la couverture corallienne vivante en 1998, et une perte supplémentaire de 50% en 2016. Notre projet a changé la donne pour les Seychelles et les communautés côtières de la région, car il a permis de prouver que nous pouvons innover et nous adapter aux changements climatiques.

Nous avons cultivé près de 50 000 fragments de corail dans des pépinières sous-marines et transplanté 24 431 d’entre eux sur environ 5 500 m2 de récifs dégradés. Il s’agissait du premier projet de restauration de récifs coralliens à grande échelle utilisant la méthode de culture des coraux au monde. Nous n’avions pas de plan. Nous avons adopté des techniques utilisées dans des contextes expérimentaux, mais nous avons également été pionniers sur nombreux aspects dans ce domaine. Le projet a agi comme un laboratoire sous-marin actif et dynamique où les questions de recherche sur la reproduction et la croissance des coraux, le comportement animal et la résilience des récifs pouvaient être abordées. Nous avons formé plus de 50 scientifiques et plongeurs scientifiques bénévoles du monde entier, qui mènent aujourd’hui leurs propres projets de restauration dans leurs pays. Une boîte à outils a été publiée et largement partagée pour répliquer les méthodologies utilisées et les expériences recueillies dans le monde entier. Elle fut extrêmement bien accueillie par les professionnels de la restauration des coraux. Nous avons créé notre Centre pour la conscientisation et l’apprentissage sur la restauration de l’océan (CORAL - Centre for Ocean Restoration Awareness and Learning) en tant que plaque tournante nationale et régionale pour le partage des connaissances sur la conservation et la restauration des récifs coralliens, et afin d’attirer des scientifiques de pointe pour entreprendre d’autres recherches sur les coraux.

Nous avons également lancé un nouveau projet qui permettra aux populations locales, pour la toute première fois aux Seychelles, de devenir intendants des zones côtières et marines, au bénéfice de l’environnement et afin d’assurer leurs moyens de subsistance. Grâce à un financement de l’Initiative internationale allemande pour le climat (IKI) et en partenariat avec l’UICN, Nature Seychelles cherche à mettre en place la première aire marine gérée localement (LMMA) des Seychelles. Bien que présent ailleurs dans la région, y compris à Madagascar, au Kenya et en Tanzanie, et à l’échelle mondiale dans de plus grands pays comme l’Australie, le modèle LMMA est nouveau pour les Seychelles. Ce projet de quatre ans investira dans des activités liées aux politiques ainsi que dans les infrastructures, les mesures de conservation et de restauration, la formation et l’équipement, les programmes de sensibilisation du public et l’introduction de mécanismes de financement durables. La LMMA des Seychelles est actuellement en cours, mais retardée en raison des impacts de la COVID-19. Nous nous trouvons à un moment de notre histoire où il est encore plus important de se concentrer sur les moyens de subsistance et les services écosystémiques locaux.

Nature Seychelles continuera d’aller de l’avant avec ses programmes et projets, également liés aux Objectifs de développement durable. Malheureusement, la pandémie de COVID-19 et l’intensité et la fréquence des changements climatiques risquent de compromettre gravement nos efforts. Sur la Réserve spéciale de Cousin Island, l’aire protégée emblématique, notre seule option est de nous retirer plus à l’intérieur des terres. Malgré cela, nous ferons tout notre possible pour que les Seychelles restent un champion des océans, et non une victime.


A propos de l'auteur


Dr Nirmal Jivan Shah

 

Le Dr Nirmal Jivan Shah est un environnementaliste Seychellois, spécialiste du développement durable et éducateur, avec plus de 35 ans d’expérience. Il a occupé des postes de direction dans les secteurs parapublic, gouvernemental, privé et des ONG, et a travaillé pour des organisations internationales telles que la Banque mondiale, l’UICN, BirdLife International et plusieurs agences des Nations unies. Il a développé de nombreux instruments politiques et de planification importants, y compris le Plan de gestion environnementale et le SPANB des Seychelles. Leader de la société civile, l’une de ses réalisations a été la création des Clubs de vie sauvage des Seychelles. Il est Directeur général de Nature Seychelles, où il a dirigé certains des projets les plus inspirants en matière de conservation, y compris ceux ayant permis de sauver des oiseaux en danger critique d’extinction et de restaurer des îles entières. Récemment, parmi les postes qu’il a occupé figurent ceux d’Envoyé spécial du Président pour l’environnement et les changements climatiques, Président de l’Autorité Seychelloise de la pêche et Président du Conseil consultatif national des Seychelles pour l’environnement. Le Dr Shah est apparu dans les médias du monde entier, y compris sur CNN, BBC, Sky, AFP, Reuters TV, SABC, CCTV, PBS, RTF et ZDF, y compris en direct dans le Today Show de NBC.

 

Hôtes