Une fois admis que « les mêmes activités humaines qui entraînent les changements climatiques et la perte de biodiversité augmentent également le risque de pandémie par leurs impacts sur notre environnement », les synergies dans notre réponse aux menaces sont évidentes.
Des solutions fondées sur la nature doivent être coordonnées et alignées afin de répondre aux facteurs sous-jacents. Alors que le monde se remet des effets de la pandémie de COVID-19, il n’y a jamais eu de moment aussi opportun pour les gouvernements de reconnaître et d’établir fermement le caractère central de la nature pour un avenir planétaire sain.
La 15e Conférence des Parties (CDP15) à la Convention sur la diversité biologique (CDB) à venir, ainsi que les engagements imminents des gouvernements en faveur de la conservation de la biodiversité, devront refléter l’influence de la pandémie sur un remplacement du « statu quo » par une approche audacieuse plaçant les aires protégées et de conservation à l’avant-garde des délibérations politiques mondiales sur la biodiversité et le climat.
L’intérêt et l’ambition mondiaux pour la protection et la conservation d’au moins 30% de la planète d’ici 2030 exigeront un degré d’innovation, de collaboration et d’engagement sans précédent de la part d’un large éventail de parties prenantes. Des approches transformatrices en matière de gouvernance et de gestion, allant au-delà des aires protégées traditionnelles pour inclure les terres autochtones et autres sites qualifiés d’« autres mesures de conservation efficaces par zone » (AMCEZ) ou Aires de conservation, sont essentielles pour étendre la portée des aires protégées et de conservation.
Des leçons et expériences claires sur le terrain peuvent aider à guider les approches visant à atteindre l’objectif 30x30.
Il sera essentiel d’étendre les approches fondées sur les droits en matière de gouvernance et de gestion des aires protégées et de conservation. Des études menées pendant la pandémie confirment l’importance de l’autonomisation et de la reconnaissance des droits des peuples autochtones et des communautés locales.
Les communautés autochtones du district de Nakorotubu, aux Fidji, ont maintenu une grande aire de conservation qu’elles avaient établie avec le soutien du secteur touristique, malgré l’absence de visiteurs dans le parc en raison de la crise de la COVID-19.
La sécurisation des titres fonciers communaux des minorités ethniques autochtones Bunong dans et autour du sanctuaire de faune de Keo Seima, au Cambodge, et la reconnaissance officielle de leurs droits territoriaux garantissent que les familles villageoises continuent d’avoir accès aux ressources forestières et renforce leur statut juridique pour défendre leurs terres contre l’appropriation et les empiétements illégaux par des étrangers, tout en soutenant leur rôle en tant que gardiennes des écosystèmes forestiers.
Des mécanismes de gouvernance inclusifs, éclairés et adaptatifs, peuvent permettre de valoriser les rôles de gouvernance et de gestion des peuples autochtones et des communautés locales tout en obtenant des résultats en matière de conservation.
L’importance d’efforts soutenus pour protéger de vastes paysages intacts afin d’endiguer la perte de biodiversité, d’atténuer les effets des changements climatiques et de réduire les risques de pandémies futures n’a jamais été aussi évidente.
Nous savons qu’au moins 35% des paysages forestiers intacts dans le monde sont gérés ou détenus par des peuples autochtones. En outre, 10% ou plus de l’aire de répartition de quelque 2 175 espèces de mammifères, soit environ la moitié des espèces évaluées avec précision, se trouvent sur des terres autochtones, rendant la protection de ces dernières essentielle à la conservation de milliers d’espèces menacées et en voie de disparition.
Le paysage du Grand Madidi-Tambopata, qui s’étend du Pérou à la Bolivie, couvre environ 14 millions d’hectares, 6 aires protégées nationales et 5 sous-nationales, 2 AMCEZ potentiels, et 8 territoires et communautés autochtones de 10 groupes différents. WCS travaille dans ce paysage depuis deux décennies pour soutenir les efforts des peuples autochtones visant à obtenir une reconnaissance juridique et de gestion de leurs territoires ancestraux.
En plus de conserver de grands paysages intacts, nous devons également développer des modèles de conservation efficaces dans des paysages dominés par l’homme, tels que les Ghâts occidentaux, densément peuplés en Inde, en protégeant les fragments de forêt, en restaurant les habitats, en améliorant la connectivité et en impliquant activement les communautés.
La biodiversité marine dans la baie du Bengale, également densément peuplée, est vitale pour la sécurité alimentaire et l’économie du Bangladesh. La création de deux AMP couvrant près de 5% de la Zone économique exclusive (ZEE) du pays a impliqué une coopération entre les communautés locales et le gouvernement. Un Réseau de science citoyenne pour la sécurité des pêcheurs équilibrera les besoins humains avec la protection de certaines des espèces de mégafaune marine les plus menacées au monde.
Les aires protégées privées, gérées par des individus ou des groupes d’individus, des ONG, des sociétés privées, des organismes religieux ou de recherche constituent une autre approche de conservation de plus en plus répandue. Bien que celles-ci soient un élément essentiel pour atteindre l’objectif 30x30, elles restent sous-représentées dans les systèmes nationaux d’aires protégées. Les aires protégées privées peuvent également protéger des habitats clés (plus petits) pour les espèces ou servir de corridors reliant de plus grandes aires protégées, en particulier dans les paysages dominés par l’homme.
Il en va de même des partenariats public-privé (PPP), comme entre le ministère de l’Économie forestière (MEF) du Congo et WCS pour la gestion et le financement à long terme du parc national Nouabalé-Ndoki et la création d’une entité de gestion du parc dans le cadre d’une convention de 25 ans.
Afin d’atteindre les objectifs ambitieux de la CDB pour l’après-2020, il faudra reconsidérer les approches traditionnelles en matière de conservation par zone. Les approches fondées sur les droits doivent être étendues afin de diversifier les régimes de gouvernance et de gestion, renforcer les modèles existants et construire de nouveaux paradigmes. En fin de compte, il sera peu utile d’atteindre l’objectif 30x30 si nous ne mettons pas l’accent sur la « qualité » et ne veillons pas à ce que les aires protégées et de conservation existantes et nouvelles préservent les valeurs naturelles et fournissent des services écosystémiques.
A propos de l'auteur
Madhu Rao est Conseillère régionale pour le Programme Asie de WCS (Wildlife Conservation Society). Basée à Singapour, elle est conseillère auprès du secrétariat de l’Asian Species Action Partnership (Partenariat pour l’action en faveur des espèces asiatiques - ASAP), une initiative de la Commission pour la sauvegarde des espèces (CSE) de l’UICN visant à catalyser les actions de conservation des espèces en danger critique d’extinction dans la région de l’ASEAN. Elle est également professeure agrégée adjointe à l’Université nationale de Singapour. Madhu est candidate à la présidence de la Commission mondiale des aires protégées de l’UICN.